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Yolande: «Je fais la pute, je ferme ma gueule et je suis moins chère qu’une pute»
Depuis 2010, la proportion des femmes SDF est en augmentation constante. Facteur aggravant : leur quotidien dans la rue est plus précaire que celui des hommes.
Cela ressemble à une légende urbaine… et pourtant, se prostituer est tout ce que Yolande (pseudo), comptable de formation, aujourd’hui sans domicile fixe, a momentanément trouvé pour survivre. Elle végète depuis deux ans dans les replis de la gare du Nord, à Bruxelles. « Basculer arrive plus vite que vous ne le pensez. Jamais je n’aurais imaginé vivre un jour sous les ponts. Ma descente aux enfers a débuté lorsque j’avais 38 ans. Après un grave accident de travail, je me suis retrouvée en incapacité d’exercer. Mon mari buvait et me frappait. J’ai donc fui le domicile conjugal. Mais, rapidement, mon allocation d’invalidité n’a plus suffi à couvrir mes frais. Avec 650 euros par mois, je n’ai plus su payer mon loyer. Et de fil en aiguille, surendettement, huissiers, avis d’expulsion, je me suis retrouvée à la rue. La déchéance totale, enfin, je pensais. »
Éloigner les prédateurs
Être une femme SDF, c’est très dur. Yolande va vite le comprendre. Elle ne peut pas rester seule si elle veut que sa sécurité soit assurée. « Je ne pouvais pas traîner indéfiniment, j’allais me faire agresser. L’instinct de survie se met alors en route. J’ai sympathisé avec d’autres sans-abri. Essentiellement des hommes, simplement parce qu’il y a plus d’hommes que de femmes dans l’errance. Au début, ils me protégeaient effectivement, ils étaient aux petits soins avec moi. Mais ils ne m’ont pas protégée d’eux-mêmes bien longtemps. J’avais beau dire “Ça ne m’intéresse pas”, “Ne me touche pas”, j’ai rapidement été violée, et à plusieurs reprises. Il faut savoir que dans la rue, toutes les femmes SDF se font violer, sans exception ! Si l’appel de l’alcool est le plus fort, certains vous fichent la paix contre quelques euros pour aller acheter leur litron. Mais il y en a toujours l’un ou l’autre qui voudra vous passer sur le corps. »
Yolande va vite accepter la dépossession de soi. Elle est, à tout moment, une proie potentielle. « Cheveux très courts, une casquette, deux gros pulls et un pantalon de treillis kaki, je fais tout pour atténuer mon aspect féminin et passer inaperçue. La répugnance est aussi ma cartouche : odeurs, saleté, tout est bon pour rebuter leurs pulsions et repousser les assauts. Mais tous les jours, à la tombée de la nuit, les angoisses remontent. Il y a très peu de lieux d’hébergement et même là, si ce sont des dortoirs mixtes, la sécurité n’est pas garantie à 100 %. »
Prostitution contre protection
Une énième mésaventure va pousser la jeune femme à faire d’autres choix. « Il était 4 heures du matin. Je n’avais pas encore réussi à trouver un coin tranquille pour me reposer quelques heures. Deux jeunes toxicos sont arrivés. Ils m’ont pris mon sac et m’ont forcée à les suivre si je voulais le récupérer. Ils m’ont poussée sous le porche d’un restaurant fermé. L’un des deux a sorti un couteau. Il voulait un rapport sexuel. La rue était déserte. Crier ou me débattre n’aurait servi à rien. Je me suis laissé faire et j’ai récupéré mes affaires. À partir de ce jour-là, je me suis dit que si les règles du jeu étaient celles-là, je ne serais plus le pion. Je voulais maîtriser la partie. Quitte à devoir y passer, autant choisir avec qui et pour un toit. Aujourd’hui, lorsque j’en ai assez de dormir dans la rue, surtout l’hiver, j’accepte de rendre des “services sexuels” à des vieux qui m’hébergent pour quelques jours, le temps de les divertir. Comme m’a dit l’un de ces types un jour : “Je fais la pute, je ferme ma gueule et je suis moins chère qu’une pute.” Cela m’a profondément choquée. Mais, quand on n’a pas le choix, on accepte d’être humilié et de s’humilier soi-même. Ces mains inconnues qui vous touchent, l’impression d’être un bout de viande… L’envie de vomir ne me quitte jamais, les nerfs sont à fleur de peau, mais en attendant, je peux me laver, je suis dans un vrai lit et quand j’ai un peu de chance, je repars aussi avec un billet de 20 euros. Je ne sais pas de quoi demain sera fait. Seule certitude : J’ai appris que la frontière est mince entre les murs de votre toit et les pavés du trottoir… »
“Les femmes ont des besoins spécifiques”
« S’il n’est pas question d’établir un classement de la misère, nous explique Mathilde Pelsers, fondatrice de l’asbl Corvia qui vient en aide aux sans-abri, il faut bien reconnaître que le sans-abrisme au féminin est une situation spécifique qui demande des réponses spécifiques. En janvier dernier, nous avons réalisé une enquête auprès d’une centaine de femmes vivant dans la rue. Même si elles tentent de fréquenter des lieux sûrs (bibliothèques communales, parcs publics, centres commerciaux, etc.) ou de rester à proximité de caméras de vidéosurveillance, 79,92 % d’entre elles ne se sentent pas en sécurité. » L’association possède une maison au 444 boulevard Lambermont, à 1030 Bruxelles, qui abrite des douches, une cuisine et quelques chambres. Une initiative qui s’est enrichie de projets plus précis qui répondent à un réel besoin : love room, frigo solidaire, boutique de vêtements et trousse de protection préventive.
Une trousse de protection préventive
Lorsqu’elles font la manche, les femmes attirent plus souvent la sympathie que les hommes et elles gagnent, en moyenne, trois fois plus d’argent par jour. Mais ce premier contact, sous le couvert de l’humain, est très souvent une “entrée en matière” pour se voir proposer un rapport sexuel. « Nous avons donc conçu une trousse de protection. Six cents “bananes” contenant un système d’alarme, un sifflet puissant et tous les numéros de secours d’urgence ont déjà été distribuées. »
Une garde-robe et un réfrigérateur ouverts
Si vous avez des excédents alimentaires, pensez aux frigos solidaires. L’idée est très simple : apportez votre nourriture en trop, ouvrez la porte des frigos transparents et déposez-la. « En un an, nous avons déjà récolté plus de 22 tonnes de fruits, de légumes, de viande et de plats préparés. Les donateurs sont des voisins, mais aussi des bouchers, des services traiteurs et des épiceries. Miss SDF 2010 s’occupe, quant à elle, de la boutique de vêtements. Les sans-abri peuvent venir s’y fournir et le “décompte” ne se fait pas avec de l’argent, mais par le biais d’un échange de services. Douze prestations bénévoles leur sont proposées au choix.
Une love room pour encadrer l’amour sauvage
Faute de couverture contraceptive, le taux de grossesse est en augmentation chez les femmes de la rue. Il a progressé de 13 %. Certaines femmes sans-abri y voient un moyen pour contourner les difficultés d’accueil. Lorsqu’une femme est enceinte, elle est prioritaire. Mais dès la naissance, l’enfant sera abandonné et la SDF va retomber à nouveau enceinte. Où faire l’amour avec un minimum d’intimité et de sécurité ? C’est la question que Marie-Thérèse Van Belle, Miss SDF 2010, a posée à l’asbl Corvia. L’association a alors entrepris d’ouvrir à Schaerbeek une “love room” gratuite, une ancienne cabane de jardin, transformée pour l’occasion. Les couples de sans-abri s’y retrouvent pour y vivre une sexualité normale dans l’hygiène et avec des moyens de contraception mis à disposition