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Travail au noir pendant la crise : « Il y a 4 mois j’étais serveur, là je suis à la rue »
La crise est déjà dure pour les travailleurs toujours à l’arrêt, dans l’horeca, la culture, l’évènementiel malgré les aides, le chômage économique, les droits passerelles. Elle l’est encore plus pour les travailleurs au noir. Sans contrat, sans revenu déclaré, ils passent complètement sous les radars des aides covid. Certains se retrouvent sans rien. Les démarches auprès du CPAS sont lentes, parfois ils n’y ont pas droit (car ils cohabitent, sont sans papier, reçoivent une petite aide des parents…), tout peut alors très vite basculer. Témoignages de ces travailleurs invisibles.
« Aujourd’hui je ne touche plus rien, zéro euro, zéro aide »
« Franchement, j’étais bien avant la crise, je gagnais 1500, parfois jusqu’à 2500 euros les gros mois où je travaillais beaucoup. Je n’étais vraiment pas dans le besoin. Aujourd’hui je ne touche plus rien, zéro euro, zéro aide« . Elie est jeune photographe indépendant. Il venait de se lancer quand la crise a éclaté. Comme il ne gagnait pas encore assez pour vivre de sa nouvelle activité, il arrondissait les fins de mois en travaillant dans un bar à Bruxelles, il était serveur. « C’était des contrats à la journée, comme de l’intérim. Je travaillais une quinzaine d’heures déclarées par semaine. En réalité j’en faisais parfois le double, parfois encore plus, c’était au black« .
Quand son bar ferme, du jour au lendemain, plus de boulot et pas de contrat à faire valoir, très peu de revenus déclarés. En même temps, ses clients pour la photo ne l’appellent plus à cause du confinement. Son dernier shooting remonte au mois de septembre, entre les deux vagues. « Le problème c’est que j’avais commencé trop récemment comme photographe pour pouvoir bénéficier du droit passerelle pour les indépendants. Rien de ce côté-là. Et pour mon job dans l’horeca, je n’avais pas assez d’heures déclarées, rien non plus« . Perdant sur les deux tableaux.
Aujourd’hui Elie attend des nouvelles du CPAS dont il espère une aide. Mais les procédures sont lentes. En attendant, sa mère contribue à son loyer et des amis l’aide financièrement. « Franchement, c’est dur de demander de l’aide à son entourage, et puis il va falloir que je rembourse tout ça. Mais ça va aller, je sens que je suis sur la pente remontante, quand les activités reprendront ça ira !« . Il garde l’espoir et le sourire malgré la situation, d’autant qu’il a récemment retrouvé un travail dans l’horeca (à emporter), une précieuse bouée pour garder la tête hors de l’eau… même si c’est toujours au noir.
D’un bon travail dans un resto… à la rue
Alexandre, lui, a basculé. « J’ai dégringolé en quelques semaines« . Il n’a plus de réserve financière et pas d’aide du côté familial non plus. Tout a été très vite. « Je suis chef de rang, en salle, dans une grosse brasserie du centre de Bruxelles. Il y a encore quelques semaines je travaillais, j’avais mon appartement. Mais mes patrons ne déclaraient que la moitié de mes heures, le reste c’était au noir« .
Le 18 octobre, deuxième confinement, son restaurant ferme. Il ne peut faire valoir que quelques heures déclarées par semaine pour son chômage économique : « Il a mis des semaines à arriver et de toute façon, ce n’était pas assez pour payer le loyer et me nourrir. De là, tout a dégringolé. En quelques semaines j’ai perdu mon appartement, aujourd’hui je suis à la rue. Mon quotidien, c’est de faire la manche pour survivre jusqu’à ce que mon restaurant rouvre« .
Mon quotidien, c’est de faire la manche pour survivre jusqu’à ce que mon restaurant rouvre
La crainte d’Alexandre, aujourd’hui, c’est que ce qu’il espère être une mauvaise passe, se prolonge. « Si je ne retrouve pas de logement, même s’il les resto rouvrent, ça va être compliqué de travailler en dormant dehors le soir. Là, je n’ai plus aucune aide. J’espère vraiment que l’Etat va trouver une solution pour les personnes dans ma situation, j’en connais beaucoup autour de moi, j’ai au moins deux collègues proches qui sont dans le même cas. Ça concerne beaucoup de monde dans l’horeca« . En attendant, l’ancien serveur passe ses journées au chaud à l’Ilot, un centre d’accueil de jour à St Gilles, la nuit, il marche dans la ville pour lutter contre le froid.
Des nouvelles têtes dans les files de l’aide alimentaire
Et de nouvelles personnes comme Alexandre, on en accueille beaucoup à l’Ilot depuis le début de la crise : « Ce sont des profils qu’on ne voyait pas avant, explique Laura Ballu, assistante sociale. Ce sont des personnes qui étaient déjà sur le fil avant, ils bouclaient les fins de mois grâce à des boulots informels et qui aujourd’hui n’ont plus cela pour leurs besoins primaires. Ils viennent alors ici pour manger, prendre une douche,… Et ça touche tout le monde, des personnes lambda : des étudiants, des jeunes, des travailleurs en fin de carrière, des artistes, des intermittents du spectacle… Ce sont des gens qui n’ont jamais connu la précarité et la rue. Beaucoup des personnes arrivées ici ces derniers temps sont dans ce profile« .
« J’ai toujours travaillé au noir, pas le choix »
Autre association, même galère. Abid suit des cours de français dans l’ASBL « La Porte Verte », à Molenbeek en Région bruxelloise. Il a du temps pour le moment. Il travaillait à temps plein avant la crise, « c’était des petits boulots à gauche, à droite dans un snack, un restaurant, dans la construction. Je suis dans une situation qui fait que je ne peux pas travailler normalement, donc tout ça n’était jamais déclaré« . Pas de CPAS non plus. Aujourd’hui il ne reçoit aucune aide pour compenser la perte de ses boulots. « Au début ça allait, j’avais un peu d’argent de côté mais le covid n’a pas duré deux ou trois mois, ça fait un an ! Là c’est très difficile. Je parviens encore à avoir des petits jobs dans la construction parce que là il y a du travail mais c’est un jour ou deux maximum par semaine, 60€ par-ci, 100€ par là. Ma famille, mes frères et sœurs m’aident pour payer le loyer. Heureusement !« . Le seul souhait d’Abid aujourd’hui, c’est de retrouver un emploi stable et d’en finir avec cette crise.
Le covid n’a pas duré deux ou trois mois, ça fait un an ! Mes réserves sont épuisées
La Banque Nationale évalue le travail au noir à 4% du produit intérieur brut en Belgique (environ 18 milliards d’euros). D’autres études, du Fond Monétaire International notamment, l’estime a bien plus. Une ampleur, par définition, très compliquée à objectiver vu son caractère informel et illégal mais c’est une réalité qui touche assurément des milliers de personnes en Belgique, particulièrement en cette période.
Source: RTBF.be
publié le 15 février 2021