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« Projet Street and Read à Bruxelles »: une bibliothèque mobile à destination des sans-abri
Depuis septembre dernier, une bibliothèque sillonne les gares bruxelloises, un vélo-cargo chargé d’une centaine de livres que peuvent emprunter des personnes sans-abri. L’initiative est portée par Doucheflux et la Maison du livre.
De Simenon au Prix Nobel de littérature
Il file à bonne allure sur le Boulevard de l’Empereur, à bord de son vélo-cargo électrique. Chaque vendredi depuis septembre, Christian Hublau de la Maison du livre relie les trois gares bruxelloises avec sa bibliothèque mobile : » dans le caisson du vélo-cargo, il doit y avoir à vue de nez une centaine de livres, j’ai fait une petite sélection pour que cela puisse plaire à tout le monde ». A l’entrée de la gare centrale, c’est un chassé-croisé de touristes qui flânent, de Bruxellois très pressés, qui passent devant un petit groupe de sans-abri qui tuent le temps.
Christian s’installe à deux pas du groupe et sur une petite table, expose les livres choisis pour ce vendredi: « l’incontournable Simenon, des livres en anglais, des thrillers, des livres policiers, mon premier livre en polonais! » Celui du prix Nobel de littérature Olga Tokarczuk.
Manu s’approche. Une armoire à glace, la petite trentaine. Un blouson que l’on a envie de réajuster sur ses épaules: « Je suis désolé, mais je n’ai pas terminé le livre! Je suis à la moitié. Au départ, je ne l’aurais pas choisi, mais finalement, ça me plaît. C’est l’histoire d’une homme qui est à la recherche d’une femme, comme tous les hommes, non », rigole-t-il.
Des livres pour s’évader et se détendre
Manu dit qu’il lit beaucoup. Que pour lui, c’est un moment d’évasion. « Au lieu de se morfondre et d’attendre, on s’occupe, comme avec le jeu d’échec ou quand on passe du temps avec les potes ». Avant la rue, Manu était élagueur, sous pression, sans cesse, nous dit-il, des chantiers, « je me faisais 700 balles par jour! Aujourd’hui, je vis sans le temps et sans argent et je suis plus heureux ».
D’ailleurs, il n’y a pas vraiment d’échéance pour le prêt du livre. » On ne se tracasse pas trop de la durée du prêt du livre. Cela peut être 2, 3 semaines. Un mois », explique Christian Hublau. « Cela n’a pas vraiment d’importance. Au départ, beaucoup de personnes nous disaient qu’on n’allait rien récupérer du tout. Nous, on a voulu faire le pari inverse. Et on commence à avoir des retours ».
Après avoir siroté son café, Dominique rapporte les livres empruntés la semaine dernière: un livre de Freud, « un sur les attentats de Bruxelles, un Agatha Christie que je n’avais pas encore lu et puis je ne sais plus… Je lis tellement! » Et la rue n’y a rien changé. Cette bibliothèque, « c’est une bonne occasion pour moi! Mais bon, j’avais encore des amis avec qui je faisais des échanges ».
Lire, ça lui permet de se détendre. « Et ça me sert de planque pour mes cigarettes, pendant la nuit. Je la mets entre deux pages! Les livres, ça intéresse rarement les voleurs ».
Inspiré d’un projet américain
Ce projet Street and Read est né dans la tête de deux bénévoles de Doucheflux. Une bibliothécaire et un cycliste se sont inspirés d’une initiative en cours à Portland aux Etats-Unis. Une enseignante qui comme ici, sillonne la ville et apporte des livres aux personnes qui vivent dans la rue. « L’idée, explique Serena Alba, coordinatrice des activités à Doucheflux, c’est de sortir les livres des bibliothèques. Ce sont des endroits parfois impressionnants, on a parfois peur d’en franchir la porte, parce que l’on se met soi-même un frein, parce que l’on a peur d’être mal reçu. Mais ces livres, ce sont aussi un prétexte pour se lancer dans des discussions et de casser certains clichés, certains a priori. On va parfois avoir des conversations auxquelles on ne s’attendait pas, sur les prix Nobel de Littérature ou un auteur super pointu. C’est le livre comme prétexte à la conversation et à l’écoute ».
Le livre, pour se rencontrer aussi. Pour recréer du lien. Ces livres sont tous issus de dons. Parfois pour se désencombrer, mais pas seulement: « On accepte les fonds de greniers, mais on demande aussi aux personnes des livres qui les ont touchés, avec un petit mot sur les premières pages pour expliquer ce qu’ils ont aimé », rajoute Christian Hublau.
La lecture a les mêmes vertus pour tout le monde
Dans la roue du triporteur, on a rencontré d’autres lecteurs. Naïma, qui aime les livres policiers et qui dit qu’elle n’avait plu lu depuis les années 90. Silhouette courbée et cheveux gris, Jacqueline, la septantaine, aimerait se plonger dans des livres sur le Tibet, des livres qui parlent d’enfants et de couture. Christian Hublau promet de chercher dans son stock pour la semaine prochaine. Geoffroy a choisi un livre qui fait écho à ce qu’il vit. Une compagne disparue et des idées noires qui prennent en otage son esprit: « Lire, ça me permet de penser à autre chose. Et comme on n’a pas de télé dans la rue…. ».
Chasser les soucis qui vous rongent l’esprit quand on broie du noir, s’évader de la rue, le temps de quelques pages, mettre en sourdine le bruit de la ville. Les vertus de la lecture sont les mêmes pour tout le monde. Quel que soit l’endroit où on lit. Jean-Marc, dit JMB dans la rue, ne dit pas autre chose: « Beaucoup de gens sans-abris lisent dans la rue, ils apprennent des choses. Pourquoi pas ? C’est pas parce qu’ils sont sales SDF etc qu’ils sont pas comme vous et moi? …. Ce projet, ça apporte 1, 2 minutes de chaleur humaine et c’est le plus important pour les gens de la rue ».
JMB lit un peu, mais il écrit surtout. Ce matin-là, il improvise des poèmes autour de la gare du midi et de la bibliothèque. Le livre chasse les questions habituelles que l’on pose aux sans-abris: « Vous n’avez pas trop froid? » pour laisser place à d’autres: « vous lisez quoi? ». Un changement de registre et peut-être un début de dignité retrouvée?
Le projet Street and Read est à la recherche de livres en langue étrangère. Et de bénévoles, cyclistes pour mener à bon port le triporteur.
Source: RTBF – publié le 22/11/2019