De nombreux facteurs expliquent cette moindre espérance de vie liée à la précarité. L’Observatoire de la santé et du social de la région Bruxelloise relève notamment le recours plus rare aux dépistages de cancer, le report d’achats de médicaments ou de soins dentaires. Des habitudes alimentaires et une hygiène de vie moins bonnes que dans des quartiers où le niveau éducatif ou social est plus élevé, en témoigne une présence plus forte du diabète. Des assuétudes plus présentes aussi, un tabagisme plus ravageur. Et des métiers plus usants.
Mais des facteurs environnementaux pèsent aussi, fortement, dans la balance.
Pauvres et mal-logés
« Les risques environnementaux ne sont pas distribués de façon égalitaire dans la société » analyse l’étude européenne.
L’étude poursuit : les personnes précarisées sont plus exposées aux risques environnementaux.
Elles vivent plus fréquemment dans des quartiers densément peuplés en manque de zones vertes, dit l’étude européenne. Elle cite, à titre d’exemple, les chiffres d’une recherche britannique. A Manchester, au Royaume-Uni, les 25% d’habitants les plus riches disposent de 2,7 fois plus d’espace vert que les 25% les plus pauvres.
La situation de leurs logements (axes routiers, quartiers denses) ou la qualité de leurs logements expose les personnes précarisées à davantage de polluants (particules fines, pollution sonore) ou à des températures qui affectent leurs états de santé. En 2016, 10% des Européens se disaient en incapacité de maintenir leur logement au chaud en hiver.
Maintenir la fraîcheur en période de canicule est tout aussi problématique.
Avec plusieurs paradoxes : statistiquement, la population des quartiers précarisés pollue moins que celle des quartiers nantis, parce qu’elle se déplace moins en avion et en voiture. Or elle est davantage victime des effets de cette pollution de l’air : les canicules liées au changement climatique la frappent plus durement.
Un quartier dense, asphalte et béton sans espaces verts, verra sa température grimper plus qu’un quartier arboré. Or des maisons mal isolées garderont moins longtemps leur fraîcheur. Leurs occupants auront en outre moins qu’ailleurs la possibilité de quitter le quartier pour des vacances. Alors qu’ils en auraient davantage besoin : ils sont plus vulnérables aux grandes chaleurs, leur état de santé global étant moins bon qu’ailleurs, les données des mutualités en attestent. Tout cela donne aux canicules un coût sanitaire plus élevé que dans les quartiers riches.
Autre paradoxe : ceux qui ne peuvent pas payer une isolation ou des châssis performants sont aussi ceux qui, par conséquent, devront payer des factures plus lourdes de chauffage en hiver.
L’exemple de Saint-Josse à Bruxelles
L’exemple de la commune de Saint-Josse-Ten-Noode en Région bruxelloise est parlant.
C’est l’une des communes de Bruxelles où l’espérance de vie est la moins élevée : 80 ans en moyenne.
Et c’est aussi la commune de Belgique au revenu moyen par habitant le plus bas. C’est enfin la commune la plus densément peuplée du pays : les espaces verts y sont rares. La circulation de passage y est dense, avec de grands axes de passage qui traversent la commune et la petite ceinture en bordure du territoire.
Et pour protéger les habitants du bruit du trafic et du froid ou de la chaleur des matériaux, peu de remparts : les logements sont particulièrement vieux. A Saint-Josse, deux logements sur trois datent… D’avant 1919. Dans le « bas » de la commune – davantage que dans le « haut » – ce grand âge se lit sur les façades, les châssis.
Pour s’attaquer à ce facteur « habitat », la commune et la Région multiplient les contrats de quartiers, proposent des primes pour pousser à la rénovation de ce bâti pour l’isoler, le verdir… Mais le chantier est énorme et dépend des propriétaires privés qui possèdent 7 logements sur 10 dans la commune et n’ont pas forcément les moyens de mener ces travaux, qu’ils occupent leur bien ou qu’ils le mettent en location.
Agir à la fois sur le climat, la pauvreté et la santé
Le lieu de vie n’est qu’un facteur parmi d’autres qui pèsent sur la santé des Européens pauvres et sur leurs finances. Mais c’est un facteur important.
Et l’améliorer peut permettre d’améliorer aussi l’état de forme de ces citoyens et celui de leurs portefeuilles.
C’est la conclusion de cette étude de l’Agence européenne pour l’environnement : elle prône de lancer des politiques croisées, bénéfiques à la fois au climat et à la pauvreté.
Dans cette optique, la Commission européenne a proposé ce mercredi une « vague de rénovation verte » et sociale. Une opération qualifiée de « Win-Win-Win »: bénéfique pour le climat, la pauvreté et l’emploi, puisque doubler le nombre de rénovations vertes de bâtiments dans l’Union européenne à l’horizon 2030, comme le propose la Commission, devrait doper l’emploi dans le secteur. C’est l’une des initiatives du « pacte vert européen » (« Greendeal »), financée par le « Plan de relance européen » post-Covid.
De nombreuses questions subsistent quant à la manière dont la Commission et les Etats membres comptent procéder. Imaginons que les propriétaires de logements loués touchent des aides pour rénover. Que ces aides permettent une amélioration des logements. Que cette amélioration provoque une augmentation de leurs loyers et le départ forcé des locataires précarisés.
Si aux quatre coins de l’Europe, une vague de déménagements suit cette vague de rénovations, le résultat sera vert, certes, mais peu social.
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