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Peut-on contraindre un sans-abri à se rendre dans une structure d’accueil?

Le bourgmestre d’Etterbeek a pris ce week-end une ordonnance autorisant l’arrestation administrative des SDF qui ne voudraient pas gagner un abri de nuit.

La vague de froid qui pétrifie le pays a incité le bourgmestre d’Etterbeek, Vincent De Wolf, à prendre dimanche une ordonnance de police inédite. A la lumière de celle-ci, les sans-abri qui refuseraient de se mettre à l’abri du froid dans un centre d’accueil pourraient faire l’objet d’une arrestation administrative. « Lorsque j’étais étudiant en droit, on m’a enseigné que si quelqu’un se couchait sur les rails du tram, on avait l’obligation de lui porter secours, affirmait lundi midi sur RTL Vincent De Wolf. C’est un peu la même chose ici avec cette ordonnance. (…) L’objectif, c’est d’éviter que des personnes meurent gelées en rue. »

Pareilles situations survenues sur le territoire de sa commune ne viendraient pas simplement postérieurement « encombrer » la conscience du bourgmestre. Elles pourraient également, selon son analyse, engager sa responsabilité. En tant que premier citoyen de sa commune, le maïeur aurait pour obligation de garantir la sécurité et d’offrir de l’aide aux personnes dans le besoin. Que celles-ci le souhaitent ou non. Autrement dit, selon Vincent De Wolf, au bout de la liberté individuelle du sans-abri à se tenir éloigné des structures d’accueil, comme un contrepoids, il y aurait l’obligation du bourgmestre de lui venir en aide sous peine, en cas de problème, d’être accusé de non-assistance à personne en danger.

Lundi, le bourgmestre de Charleroi, Paul Magnette, a emboîté le pas à son homologue d’Etterbeek et pris une ordonnance obligeant les SFD à gagner les abris de nuit. La Ville de Bruxelles, de son côté, compte également prendre le cas échéant des mesures à l’égard des sans-abri récalcitrants. A une différence près toutefois : le bourgmestre, Philippe Close, a estimé avec ses équipes qu’il n’y avait pas lieu de prendre une ordonnance de police particulière. «  Mais nous serons vigilants, indique-t-il. Les fonctionnaires de police comme les agents communaux ont été chargés d’aller à la rencontre des sans-abri pour tenter de les convaincre de rejoindre les structures d’accueil. Nous serons encore plus attentifs si des enfants se trouvent en rue. Dans ce cas-là, systématiquement, contact sera pris avec le parquet jeunesse. Mais aller jusqu’à prendre une ordonnance de police, cela me semble difficilement opérable parce que je vois mal un policier arrêter un sans-abri et l’emmener à un travailleur social dans un local ».

« Dans les cas d’absolue nécessité »

Si, formellement, l’attitude du bourgmestre de Bruxelles ne va pas aussi loin que celle de son homologue d’Etterbeek, la différence est sans doute moins tranchée dans les faits. En effet, même si elle n’agit pas dans le cadre d’une ordonnance qui autorise les arrestations administratives, la police de Bruxelles usera de toute sa persuasion pour attirer les sans-abri dans des centres d’accueil. Et à ce petit jeu, nul doute que l’autorité qui lui est généralement conférée est un atout. Vincent De Wolf, le bourgmestre d’Etterbeek, a d’ailleurs indiqué que l’ordonnance qu’il avait prise servirait « dans les cas d’absolue nécessité à protéger les SDF qui se mettraient en danger ». Dans la nuit de dimanche à lundi, aucune arrestation administrative n’a été nécessaire, tous les sans-abri approchés ayant finalement accepté de rejoindre les structures d’accueil volontairement.

A Liège, l’initiative de Vincent De Wolf a trouvé l’oreille du bourgmestre Willy Demeyer. Après avoir poussé au maximum les capacités d’accueil, la Ville se dit aujourd’hui prête à venir en aide à tous les sans-abri qui en exprimeraient le besoin. Et pour les autres plus réfractaires ? «  Willy Demeyer a demandé à recevoir l’ordonnance de police prise à Etterbeek, explique la porte-parole de Ville. Le bourgmestre n’a aucune opposition de principe par rapport à cette initiative. S’il devait décider d’adopter un comportement identique, il le ferait par rapport à la responsabilité qui est la sienne en tant que bourgmestre. »

« La police en dernier recours »

Le point de vue des organismes qui viennent en aide aux sans-abri sonne un peu différemment. Sans commenter directement et politiquement l’ordonnance prise par le bourgmestre, ils font tout de même valoir l’existence d’un libre arbitre. « Certaines personnes préfèrent rester dans la rue, pour des raisons qui leur sont propres, indique Nancy Ferroni, la porte-parole de la Croix-Rouge, qui gère notamment un centre d’accueil à Haren d’une capacité de 300 places – portée à 340 ces derniers jours. Elles gardent évidemment leur libre arbitre, et nous ne pouvons pas les mettre manu militari dans un abri. Il s’agit notamment de couples, qui n’ont pas envie d’être séparés, ou de personnes qui ont un chien, rarement admis dans les abris ».

Au Samusocial, l’ASBL qui gère le plan hiver pour la Région bruxelloise, la reconnaissance de cette liberté individuelle s’impose de la même manière : « Nous n’avons pas le pouvoir de contraindre les gens, affirme Christophe Thielens. Notre travail repose sur la confiance. On essaie de les encourager à se mettre à l’abri. Ceux qui sont réticents, souvent, il s’agit de personnes désocialisées qui préfèrent rester seules et “libres”. Souvent aussi, ce sont des personnes qui ne veulent pas partager des règles collectives (on ne peut pas fumer et boire dans les centres d’accueil) et il n’y a pas de chambres individuelles, ce n’est pas possible. S’ils ne veulent pas venir, on les équipe autant que possible en couvertures etc. Mais quand il y a vraiment un risque, on leur dit qu’on va les signaler à la police. C’est vraiment en dernier recours, et très rare en fait. »

Le Front commun des SDF, plateforme de plusieurs associations d’anciens et d’actuels sans-abri, a également réagi lundi pour défendre la liberté individuelle de chacun et dénoncer une ordonnance de police qui « cache mal le souci d’un bourgmestre de se protéger lui-même » : « Il ne cherche pas à défendre les SDF, mais à se protéger lui-même en cas d’overdose ou de crise cardiaque chez un SDF, indique Jean Peeters, le secrétaire du Front. Pour le reste, je crois que les sans-abri sont tout à fait capables d’estimer ce qui est le mieux pour eux. »

 

Mark Hunyadi (UCL): «Un Etat doit pouvoir être bienveillant»

Mark Hunyadi est depuis 2007 professeur de philosophie sociale, morale et politique à l’UCL. Ses travaux s’orientent dans la double direction de la philosophie morale fondamentale et de la philosophie appliquée.

Entre la liberté individuelle revendiquée par les sans-abri et l’obligation invoquée par le bourgmestre d’Etterbeek de leur venir en aide vu le froid, où placez-vous le curseur ?

Il faut prendre, je crois, un peu de hauteur. Nous sommes dans un Etat-providence. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela signifie qu’il doit assurer à chacun un palier minimal de biens. Mais dans le cas qui nous occupe, l’Etat agit moins, il me semble, comme Etat-providence que comme un Etat bienveillant. Ce qui est en jeu, évidemment, c’est l’accusation de non-assistance à personne en danger. Qu’un bourgmestre veuille s’en défendre me semble tout à fait plaidable. A-t-il pour autant été jusqu’au paternalisme, notion qui est contraire à notre système, puisque chacun est censé « se débrouiller » à partir des ressources qu’on lui donne ? Dans le cas qui nous occupe, je crois qu’il vaut mieux avoir à s’excuser d’avoir été trop paternaliste, d’avoir sauvé des gens contre leur gré même, que d’avoir à s’excuser d’avoir été trop tiède et d’avoir laissé mourir des gens en rue. Au fond, cet exemple montre qu’un Etat n’a pas, selon moi, qu’à assurer les libertés individuelles, il doit aussi parfois être « bienveillant ». C’est vrai pour cet exemple, c’est vrai aussi sur la question des migrants.

Les sans-abri qui refuseraient d’intégrer les structures seraient parfois victimes d’addictions ou de problèmes de santé mentale après un long parcours en rue. Est-ce à prendre en compte pour juger de leur liberté individuelle à rester en rue malgré le froid des derniers jours ?

C’est une question difficile. Mais en l’occurrence, je crois que rester en rue les expose à la mort, à un danger de mort. Et qu’ils ne sont pas peut-être, vu leurs problèmes, les meilleurs juges de la situation. Dans ce cas-là, peut-être qu’une certaine dose de paternalisme peut s’entendre.

 

http://plus.lesoir.be/142408/article/2018-02-26/peut-contraindre-un-sans-abri-se-rendre-dans-une-structure-daccueil#

L’ASBL AMA

Créée en mai 1968, la Fédération des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abri (AMA) fédère des institutions assurant l’accueil, l’hébergement et l’accompagnement d’adultes et de familles en difficultés psychosociales mais aussi des personnes morales ou physiques actives dans le domaine de l’aide et de l’accueil de personnes en grande précarité sociale.

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