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Mons: un toit pour permettre aux SDF de redémarrer dans la vie
Reloger des sans-abri, pour les aider à prendre un nouveau départ. C’est l’objectif du programme « Housing First ». Il a vu le jour à New York dans les années 90. Et depuis, de nombreuses autres villes l’ont testé, dont Mons, depuis l’an dernier. Concrètement, neuf logements ont été attribués, pour aider quinze personnes. Seule condition : payer leur loyer, et accepter un suivi de la part d’une équipe de travailleurs sociaux. Nous avons suivi Muriel et Pearl, les accompagnateurs du projet, à la rencontre de personnes relogées ces derniers mois.
Fred a vécu 12 ans dans la rue. Depuis quelques mois, il dispose d’un logement, rien que pour lui, à Jemappes. « Depuis, j’ai eu le déclic. En un mois, beaucoup de choses étaient réglées. J’ai eu mes papiers, j’ai eu un appart’, là je vais commencer à faire des ateliers« . Muriel et Pearl le rencontrent plus souvent sur ce parking de Jemappes que chez lui. « Il faut comprendre que pour des personnes qui ont connu la rue pendant longtemps, se retrouver entre quatre murs toute la journée, c’est trop violent. Faire la manche peut aussi faire partie de leur projet à eux. Ça structure leurs journées. Fred, s’il n’est pas ici à 8h30 le matin, ça va pas ! », nous explique Pearl. « Pour d’autres ce sera l’inverse. Une fois qu’ils sont relogés, ils ne veulent plus entendre parler de la rue« , poursuit Muriel, « ça dépend très fort d’une personne à l’autre. Nous, on s’adapte. On accompagne la personne. Si Fred préfère qu’on le voie ici, on vient à sa rencontre ici, même si on préférerait que ce soit à l’appartement… Et on y va quelques fois quand même, lorsqu’on a rendez-vous ensuite au CPAS par exemple…Chaque chose en son temps ». Pareil pour les consommations de stupéfiants. « J’ai arrêté l’héro. Bon, je compense pour l’instant encore avec un peu d’autres choses. Mais en octobre j’ai prévu d’arrêter ça aussi. Les ateliers, ça va m’aider, vous allez voir », nous assure Fred. Le programme a cette particularité: l’obtention d’un toit n’est pas liée à d’autres obligations ou promesses de sevrage. Le toit est perçu comme une première étape, dans un projet de « reconstruction ».
Sophie, elle, est maman d’un grand adolescent. Elle vit avec lui dans une petite maison à Mons depuis un an. « Avant, j’ai beaucoup bourlingué… La rue, les maisons d’accueil, puis à nouveau dehors, hébergée chez des amis… Tu vis au jour le jour. Impossible de te poser. Un toit, c’est la base de tout ! Ça me permet de refaire des formations. Me lever le matin, pouvoir me laver, d’être posée. Je sais que je rentre chez moi, je peux me faire à manger, entreprendre des choses… Un toit c’est la base de tout« . Cette maman se réjouit également du suivi effectué par les équipes d’accompagnants : « Ça demande une discipline ; c’est ça qui est bien, c’est qu’il y a un suivi. Ils sont là aussi pour veiller à ce que la personne entretienne le logement, à ce qu’elle ait de l’hygiène, à ce qu’elle mange correctement […] Il y a un suivi continu pour que la personne garde le logement et qu’elle évolue ». « Des personnes qui ont connu la rue pendant des années ne vont pas se stabiliser en 2 semaines. Elles doivent être accompagnées. A la fois pour l’administratif, mais aussi pour gérer l’entretien d’un logement, les relations de voisinage, toute une série de choses, qui demandent du temps », ajoute Pearl.
L’attention portée aux familles, une spécificité à Mons
Reloger des familles est une spécificité du programme Housing First à Mons. « Il n’y a que nous qui le faisons, et un autre programme en Autriche », précise Lysiane Colinet, la coordinatrice du Relais social. L’expérience donne de bons résultats, « nous avons des personnes qui reprennent des formations, des mises à l’emploi, des personnes qui se stabilisent, retrouvent leurs droits par rapport à la garde des enfants, la mutuelle… » Reste que ces dossiers sont plus compliqués à gérer que les dossiers impliquant des personnes isolées. « Les familles qu’on suit sont souvent en très grande précarité, et souvent avec des enfants qui ont un dossier SAJ ou SPJ. Tout cela doit être pris en compte« , explique Muriel. « On agit également en toute transparence par rapport au bénéficiaire, avec un devoir de dénonciation si on se rend compte que dans une famille, il y a des dysfonctionnements : mise en danger, maltraitance, malveillance… C’est quelque chose qu’on ne rencontre pas avec les personnes isolées. Ici, on a une responsabilité tout autre : on doit faire attention aux mineurs ! » La charge de travail est beaucoup plus lourde, le nombre de rendez-vous plus élevés lorsqu’il s’agit de suivre une famille nombreuse, d’autant que certaines comptent 3 ou 4 enfants sous le même toit. » Et on n’est que deux équivalents temps plein… C’est compliqué », avouent Muriel et Pearl.
Aujourd’hui, l’équipe n’a pas pris rendez-vous avec Bryan. « Mais ce qui est chouette avec lui, c’est qu’on peut passer à l’improviste, il est toujours content de nous voir ! », nous glisse Muriel en arrivant devant un immeuble à appartements, dans le centre de Jemappes. En effet, Bryan les accueille chaleureusement. « Je voudrais les voir tous les jours, si c’était possible ! » nous dit le jeune homme. Bryan a 26 ans. C’est la première fois qu’il dispose d’un logement pour lui seul. Il souffre de problèmes de santé mentale, qui lui ont valu plusieurs hospitalisations. Il a également connu la rue, ou les hébergements « de fortune ». « J’ai vécu dans un taudis, ici à Mons… Quand t’as pas de sous… C’est compliqué ! ». Muriel et Pearl viennent le voir deux fois par semaine. « On l’accompagne parfois à la banque, parfois on va faire des courses, on l’a aidé à trouver des meubles, à aller chercher des colis alimentaires… » Bryan va mieux, même s’il reste extrêmement fragile. « On n’est pas tout seul à venir le voir, il y a d’autres équipes également. La prise en charge est multidisciplinaire », explique Muriel.
Après un an, le bilan
Pour Lysiane Colinet, la coordinatrice du Relais social, le programme Housing First amène de bons résultats. « Les personnes qui ont obtenu un logement ont parfois arrêté une consommation, retrouvé leurs droits communs et retournent dans les circuits de soins classiques. On remarque aussi qu’elles sont encore toutes en logement ! Aucune des personnes relogées ne s’est retrouvée à la rue depuis qu’elle est suivie par le service. Après, le suivi psycho-médico-social avance tout doucement. Mais c’est tout à fait porteur, pour nous ». Au CPAS, on dispose de chiffres plus précis sur le nombre d’interventions réalisées à domicile. « 258 interventions », précise la présidente du CPAS Marie Meunier, « plus de la moitié concernent des familles. On voit très bien que lorsque la prise en charge concerne une famille, la nature des interventions est très diversifiée ! On touche à l’hygiène, à la santé physique, au social… Les problématiques sont plus nombreuses ! ». Qu’en est-il de la recherche de logements ? Les propriétaires acceptent-ils de « jouer le jeu »? « La mission de trouver des logements est confiée à notre ‘capteur logement’. Il a des contacts privilégiés avec des propriétaires qui ont ‘une fibre sociale’, ce qui permet une mise en logement plus rapide« , poursuit Lysiane Colinet. Pour l’instant, 9 logements ont été attribués, et assurent un toit à 15 personnes. « On souhaiterait voir plus grand. On est en recherche de financement pour pouvoir poursuivre le projet avec plus de personnel. Ici, avec deux travailleurs sociaux, nous ne pouvons pas aller au-delà d’une vingtaine de personnes impliquées dans le projet« , conclut Lysiane Colinet. « Housing First est financé totalement par des fonds extérieurs, venant de la Région Wallonne« , explique Marie Meunier. « Le programme est financé pour une durée de 3 ans. L’idée est de rentrer à nouveau un dossier, pour faire perdurer Housing First grâce aux subsides wallons« .
Source: RTBF.be – Publié le 24/09/2019