2024 sera une année électorale en Belgique. Dans ce contexte, le Guide Social souhaite être…
Les Petits Riens ou l’asbl qui fait bien plus que revendre des vêtements
Cet article a initialement été publié dans la version papier de notre magazine le 22 novembre 2017.
Vous déposez sporadiquement des sacs remplis de vieilles fringues dans les containers jaunes? Que deviennen-t-ils? À quoi sert l’argent de leur revente? Les monceaux de vêtements collectés ne sont que la partie visible des activités des Petits Riens, dont la mission principale est restée la même depuis 1937, lorsque l’abbé Édouard Froidure hébergeait pour la première fois chez lui des hommes sans toit ni ressources: procurer un logement aux personnes dans la précarité. L’abbé engagé a déjà organisé dans les années trente des récoltes de vêtements et de mobilier pour les familles défavorisées. Bientôt, la pratique se structure autour de cette idée centrale: financer du logement grâce à l’activité de vide-greniers.
Comment? Récupérer textiles, objets, mobilier, ces mille “petits riens” dont les gens n’ont plus l’usage, les trier et les vendre pour continuer à faire fonctionner la maison d’accueil. La communauté se met au travail et génère elle-même son revenu, dans un cercle vertueux. Sans le savoir, l’abbé vient de mettre en branle l’engrenage de ce que l’on nommera plus tard l’économie sociale.
Accompagner les sans-abris
“On s’intéresse également à “l’après’”, indique Odile Dayez, responsable de la communication, nous avons constaté que les personnes qui sortent des maisons d’accueil y reviennent au bout d’un moment.” Fournir un temps un logement aux personnes exclues ne les aide que temporairement. Parce que la pauvreté revêt de nombreux aspects et lutter contre elle de façon durable demande une approche simultanée: absence de logement bien sûr, mais aussi isolement, manque de formation, difficultés administratives, problèmes de santé mentale, etc.
L’organisation donne les chiffres de 300 sans-abri accompagnés chaque année, toujours sur base volontaire. La donne a-t-elle changé avec le temps? La précarité a évolué ces dernières années constate l’asbl, avec une prévalence des problèmes de santé mentale. Elle s’étend également à de nouveaux publics. Depuis une dizaine d’années, de plus en plus de jeunes de 18 à 24 ans sont jetés hors de chez eux, ou se retrouvent dans la rue suite à un parcours en institution. Il y a cinq ans, l’association crée une maison d’accueil pour répondre aux besoins spécifiques pour ces jeunes, dont le chemin vers l’autonomie passe certes par la formation, mais aussi l’éducation à la vie en communauté, ou le simple fait d’être capable de cuisiner….
De plus en plus de femmes touchées
Devant l’urgence, Les Petits Riens planche également sur la création de maisons d’accueil pour des femmes: le sans-abrisme les touche de plus en plus. En cause? Des situations de monoparentalité à fort risque de précarité. Après le logement, le second axe sur lequel travaille Les Petits Riens, c’est l’emploi. Le tri des collectes et les activités qui y sont liées, dans l’immense hangar d’Anderlecht inauguré en 2015, permet la mise au travail de certains résidents, mais aussi de personnes en insertion, ou effectuant des peines de travail, ou des contrats de mise à l’emploi…. “En 2016, plus de 1.400 personnes sont passées dans nos équipes, et plus de 700 se sont formées à travers l’insertion”, détaille la chargée de com.
La différence avec d’autres structures de lutte contre la pauvreté? La diversité des services mis en place, et le fait qu’une partie des ressources provient de l’activité économique. Les Petits Riens revendique un fonctionnement d’entreprise: “On crée de l’emploi, on a des objectifs de rentabilité; c’est une énorme machine, avec plus 300 employés”. Un financement public à hauteur de 20 % épaule son fonctionnement, un modèle économique hybride permettant la pérennisation des projets en cas de coupe dans les budgets publics.
Donner coûte plus cher que jeter
Le placement de bulles atteste de la part des responsables communaux d’un engagement social, il peut aussi générer des incivilités. “L’économie sociale doit garder la main. Il faut sensibiliser au fait que certaines bulles n’en font pas partie, plaide Odile Dayez. On a créé avec d’autres acteurs une fédération de lobbying, le portail Ressources. Nous demandons à ce que les communes ne puissent pas faire d’appels d’offres pour le placement des conteneurs.” Autre combat dévolu à Ressources: faire changer la législation concernant la taxation des invendus des industries, comme cela s’est déjà produit pour le secteur alimentaire. Aujourd’hui encore, il en coûte plus aux entreprises de donner leurs invendus que de les faire détruire.
Par engagement écologique ou pragmatisme économique, acheter d’occase, que ce soit sur le Net, dans les vide-dressing, en brocante ou dans des boutiques dédiées ne relève plus uniquement d’un effet de mode. Des sites comme eBay ont popularisé auprès d’un public de plus en plus large l’achat en seconde main. Les Petits Riens dispose désormais de trente magasins, dont dix nouvelles boutiques au look upcycling. Seul le Retro Paradise, enseigne colorée de la rue Américaine, est spécialisé dans le vintage et vend un peu plus cher. S’habiller total fripes, surtout chez les jeunes générations, passe dans les habitudes. Mais il flotte encore, accrochés aux vêtements déjà portés, quelques effluves rebutants: “La fripe, c’est pas frais, ou un peu honteux”. Ou: “C’est super!, mais ces magasins, c’est pour les pauvres”. Il existe une sorte de “culpabilité”, remarque encore Odile Dayez. Acheter ou donner en seconde main permet pourtant de participer à ce processus positif de financement de projets liés au sansabrisme. Non, ce n’est pas rien.
Source: Le Moustique publié 10/10/2019 par Véronique Laurent