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Les gouvernements criminalisent les sans-abri afin de détourner l’attention de leurs propres échecs

Actuellement, plus de 100 millions de personnes à travers le monde n’ont pas de toit, selon une estimation de l’ONU. Ce chiffre stupéfiant démontre l’échec des gouvernements s’agissant de protéger les droits fondamentaux et de répondre aux besoins les plus élémentaires de leurs populations.

Cette année, la Journée mondiale de l’Habitat, le 2 octobre, se décline sur le thème des politiques de logement et des logements abordables. Les gouvernements de 193 pays ont promis de faire en sorte que d’ici 2030 chaque citoyen ait accès à un logement décent, sûr et abordable, ainsi qu’à des services essentiels. Cependant, les politiques de logement abordable ne bénéficieront aux plus vulnérables que si les gouvernements s’attaquent aux causes profondes du problème de la privation de logement – qui mêle bien souvent l’injustice, l’inégalité et la discrimination.

Dans le monde, le nombre de sans-abris a augmenté au lendemain de la crise financière de 2008. De nombreux pays ont alors connu une hausse du chômage, de la précarité au travail et de la pauvreté active. Dans de nombreuses régions du globe, les mesures d’austérité prises par les gouvernements ont aggravé la situation, se traduisant par une réduction des dépenses allouées aux programmes de logements sociaux et aux centres pour sans-abri.

Au Royaume-Uni, par exemple, le nombre de personnes qui dorment à la dure a plus que doublé depuis 2010, dans un contexte de réduction des budgets gouvernementaux alloués aux programmes de services sociaux et de logements sociaux. D’après un sondage récent du Conseil des réfugiés, les personnes qui se voient accorder le statut de réfugiés sont particulièrement exposées au risque de se retrouver à la rue et dans le dénuement, car il n’existe pas de programme de soutien lors de la transition pour passer de l’appui en matière d’asile à une vie indépendante.

Les raisons pour lesquelles les gens se retrouvent à la rue sont très diverses. Certains sont expulsés de force sans bénéficier d’indemnisation ni de solution de relogement de la part des autorités. Un autre facteur important est l’accès inégal à la terre et à la propriété, notamment pour les femmes, les personnes âgées et les personnes souffrant de handicap. Les violences conjugales sont une cause récurrente pour les femmes. Le fait d’être sans domicile recouvre différentes réalités – certains dorment dans la rue, d’autres « squattent » les canapés de leur famille ou de leurs amis.

Si les circonstances varient, les sans-abri ont une chose en commun : ils sont tous victimes de violations des droits humains. D’après la rapporteuse spéciale sur le droit à un logement adéquat, le « sans-abrisme » est une violation extrême du droit à un logement convenable et du droit à la non-discrimination. Souvent, c’est aussi une violation de divers autres droits humains, notamment les droits à la vie et à la santé. La discrimination est intrinsèquement liée au fait de ne pas avoir de logement. Les personnes déjà vulnérables et marginalisées ont plus de risques de se retrouver à la rue, et celles qui sont à la rue sont plus exposées aux discriminations.

En Australie, les désavantages que subissent les populations aborigènes à tous les niveaux se retrouvent dans leur accès au logement. D’après des chiffres officiels rendus publics en 2015, les Aborigènes représentent 3 % de la population du pays, mais 23 % des personnes qui recourent aux services pour les sans-abri.

Au lieu de s’attaquer aux causes profondes du problème de la privation de logement, les gouvernements dans le monde ciblent de plus en plus les personnes sans domicile au moyen de lois pénales et de réglementations. Les lois contre le vagabondage, les politiques qui privent les sans-abri d’un accès à des services essentiels ou les mesures punitives et les opérations de grande envergure visant à les forcer à quitter la ville, sont autant d’instruments dont se servent les autorités pour piétiner les droits des sans-abri.

Et la situation s’aggrave : plus les gens qui dorment dans la rue deviennent visibles, plus s’accentue le caractère négatif de la réponse des autorités et des stéréotypes véhiculés par les médias, ainsi que l’indifférence de la population.

Au Brésil, les enfants et les adolescents qui vivent dans les rues sont souvent arrêtés et conduits de force dans des institutions. En raison du démantèlement des programmes sociaux, de la faible disponibilité des services et infrastructures dédiés à ce groupe d’âge, et du non-respect par les représentants de l’État de la procédure régulière, les autorités, au lieu de garantir la protection de leurs droits, se contentent bien souvent de les enfermer.

Le Brésil a connu plusieurs épisodes graves de violence contre des enfants et des adolescents des rues, notamment le massacre de Candelaria en 1993 : un escadron de la mort, formé de policiers agissant en dehors de leurs heures de service, a ouvert le feu sur un groupe d’adolescents qui dormaient dans les rues du centre de Rio, faisant huit victimes. Les auteurs de ces abus restent bien souvent impunis, tandis que les familles et les victimes sont privées de justice.

En Hongrie, dans le cadre d’une campagne contre les sans-abri lancée au début des années 2000, les autorités locales ont adopté ou modifié des décrets interdisant de mendier, de ramasser des aliments dans les poubelles ou de dormir dans des espaces publics. Ces diverses initiatives ont été étendues au niveau national en 2013 : une modification de la Constitution hongroise permet aux autorités locales de définir des quartiers d’une ville qui ne peuvent pas être utilisés à des fins d’habitat, sous prétexte de préserver l’ordre public et l’héritage culturel.

Ces « infractions » sont passibles de travaux d’intérêt général, d’amendes ou d’incarcération en cas de récidive. Des centaines de personnes n’ayant déjà pas les moyens de satisfaire leurs besoins élémentaires sont  condamnées à des amendes au titre de ces divers textes de loi.

Amnesty International demande à tous les gouvernements d’établir des processus de participation et de consultation publique sur les projets de politique nationale et de veiller à ce que les sans-abri y soient associés. Ils doivent accorder la priorité aux groupes les plus défavorisés et marginalisés, garantir l’égalité hommes/femmes et l’absence de discrimination, prendre des mesures concrètes pour apporter des solutions de logement adaptées, garantir l’accès aux services essentiels pour tous, et faire en sorte que chacun jouisse d’un degré minimum de sécurité d’occupation.

Chacun a le droit d’avoir un logement sûr et convenable. Depuis trop longtemps, les gouvernements s’efforcent de détourner l’attention de leurs propres échecs concernant le respect de ce droit, en criminalisant et en stigmatisant les sans-abri.

Si les gouvernements ont à cœur de remédier à cette grave « crise du logement », ils doivent changer d’approche et développer des solutions ciblées et durables en vue de remplir l’engagement souscrit dans le cadre des objectifs de développement durable à l’horizon 2030, à savoir « Ne laisser personne de côté ». Avec 100 millions de personnes qui ne savent pas où elles dormiront ce soir ou la semaine prochaine, il n’y a pas de temps à perdre

 

Par Renata De Souza, Researcher/Adviser on Economic, Social and Cultural Rights at Amnesty International

https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2017/10/governments-are-criminalizing-homeless-people-to-distract-from-their-own-failures/

L’ASBL AMA

Créée en mai 1968, la Fédération des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abri (AMA) fédère des institutions assurant l’accueil, l’hébergement et l’accompagnement d’adultes et de familles en difficultés psychosociales mais aussi des personnes morales ou physiques actives dans le domaine de l’aide et de l’accueil de personnes en grande précarité sociale.

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