Une offre résidentielle inadaptée
« Par rapport aux autres villes européennes telles que Paris ou Berlin, Bruxelles n’est certainement pas hors de prix, observe Fouad Ahidar (SP.A), président de la commission Logement au parlement bruxellois. Mais quand on compare le salaire moyen d’un Bruxellois avec les prix de l’immobilier, c’est là qu’apparaît le problème. » En 2017, constate la Société du logement bruxellois, 50 % des locataires ont un revenu mensuel inférieur à 2.000 euros, plus d’un tiers de leur revenu est consacré au logement. Or, selon le Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat, c’est là que se situe le seuil au-delà duquel le logement devient inabordable. « Pour ceux qui touchent de petits salaires, il est devenu presque impossible de se loger à Bruxelles, à moins d’opter pour des habitations à la limite de l’insalubrité situées dans des coins où il ne fait pas bon vivre », illustre Marie-Luce Eeckman, nouvellement installée près de Soignies après avoir été contrainte de quitter Watermael-Boitsfort, faute de moyens pour y rester.
Qu’il s’agisse d’acquérir ou de louer un bien, l’apport financier nécessaire constitue donc bien souvent une charge trop importante pour les ménages de la classe moyenne. Le baromètre des notaires pour l’année 2018 indique qu’acheter une maison en Région bruxelloise coûte environ 450.000 euros, contre une moyenne nationale de 250.000 euros.
Ces différences régionales apparaissent aussi sur le marché locatif. Selon des chiffres publiés respectivement par la SLRB, la Vlaamse Huurdersplatform (association publique flamande défendant les droits des locataires) et l’Iweps (Institut wallon de la statistique), un ménage déboursera en moyenne 700 euros mensuels pour se loger à Bruxelles, contre 600 en Flandre et 506 en Wallonie. En découle un choix cornélien pour une partie des ménages bruxellois : abandonner la capitale, ou sacrifier un peu plus de leur revenu afin de le consacrer au logement, quitte parfois à affronter des fins de mois difficiles.
Trop de projets immobiliers haut de gamme?
En plus d’un accroissement démographique continu depuis 1996, les Bruxellois de la classe moyenne sont mis en concurrence avec des immigrés européens attirés par l’aspect international de notre capitale. « Dans des quartiers autrefois populaires, les promoteurs immobiliers se concentrent à présent sur des projets plus haut de gamme destinés notamment aux fonctionnaires européens, qui possèdent un pouvoir d’achat plus élevé », développe Mathieu Van Criekingen, spécialiste de l’aménagement du territoire à l’ULB. Par ses tarifs élevés, le marché immobilier privé tendrait donc à exclure les Bruxellois de la classe moyenne. « Rénover certains quartiers défavorisés en y installant des habitants plus nantis peut bénéficier aux populations locales, nuance Benjamin Cadranel, administrateur général de CityDev, opérateur foncier public bruxellois axé sur le logement moyen. En offrant par exemple un meilleur cadre de vie, à condition que les pouvoirs publics encadrent soigneusement les prix de l’immobilier pour rendre possible cette mixité sociale. » Au cabinet de la ministre bruxelloise du Logement, Céline Fremault (CDH), on affirme tout mettre en œuvre afin de permettre aux personnes nées à Bruxelles de continuer à y vivre décemment, mais on admet ne pas parvenir à juguler totalement la hausse des prix.
« À cause de cette concurrence acharnée, certains propriétaires ne sont aujourd’hui plus tenus d’entretenir correctement leurs biens pour pouvoir les louer », déplore Sarah De Laet, chercheuse en géographie humaine à l’ULB. Dans son baromètre 2018, l’Observatoire de la santé et du social fait état de 22 % des ménages bruxellois évoquant au moins l’un des désagréments suivants concernant leur domicile : logement surpeuplé, incapacité à chauffer convenablement et problèmes d’humidité ou de moisissures. Outre un nivellement qualitatif vers le bas, leur taille moyenne diminue également ; elle était estimée à 80 m2 en 2015, et passait sous les 73m2 en 2017. Cette réduction de l’espace habitable s’ajoute aux facteurs encourageant l’exode de familles vers la périphérie et les régions. Aujourd’hui, seuls 5 % des déménagements servent à se rapprocher du lieu de travail, quand 30 % font suite à une insatisfaction concernant l’état du logement ou de son environnement.