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Les sans-abri au centre de Haren, «un reflet de la société, que d’habitude on cache»
Le public est multiple : hommes seuls ou familles, Belges ou non. Une société en réduction, en quelque sorte. Reportage au centre géré par la Croix-Rouge à Haren.
Dans le sas d’entrée, un groupe d’adolescents discute sur une table de bois. Comme dans une maison de jeunes. Dans le hall, un petit comptoir en arc-de-cercle, avec une dame accueillante derrière, comme la réceptionniste du lobby d’un hôtel sommaire. Passé quelques portes, ce grand réfectoire, comme dans une école. Et les fours qui réchauffent des centaines de barquettes compartimentées (ce soir, c’est poulet, purée, carottes ou lasagne aux épinards), comme dans un hôpital. A l’extérieur, des conteneurs de douches, comme en festival. Il y a un peu de tout ça au centre géré par la Croix-Rouge à Haren. Mais il ne s’agit ni d’un hôtel, ni d’un hôpital : nous sommes dans un centre d’accueil pour sans-abri.
Ouvert depuis le 8 décembre, le centre héberge actuellement 338 personnes, la nuit mais aussi la journée, comme l’explique son directeur, Freddy Simon : « Le projet officiel, tel que demandé par le fédéral (qui intervient en seconde ligne, quand le réseau régional est saturé), est un accueil de nuit. Mais nous ouvrons en journée. L’idée est que les gens puissent s’installer, se reposer et ne pas s’inquiéter chaque jour de trouver un lit pour la prochaine nuit. Je suis persuadé que ça porte ses fruits : les gens commencent à vivre comme chez eux, prennent le temps de réfléchir. »
Des règles pour tous
D’autant que la population est particulièrement diversifiée, et, pour partie, vulnérable. Les deux premiers étages de cet ancien building de bureaux sont occupés par des hommes seuls. Les rideaux et les armoires en métal, qui délimitent des chambrées de six à huit lits et confèrent un semblant d’intimité, protègent des regards indiscrets mais laissent s’échapper des musiques venues d’ailleurs, diffusées sur des téléphones portables.
Dans l’ascenseur, un homme espagnol, coiffé de longues rastas, explique au directeur qu’il monte pour se faire faire les tresses… « Vous savez qu’au 4e, ce sont uniquement les femmes et les familles ? Vous n’avez pas le droit de vous y rendre », intervient Freddy Simon. Jamais sans son talkie-walkie, le directeur dégaine et appelle une des collaboratrices : « Tu peux expliquer cela à Monsieur en espagnol ? » « Je suis persuadé qu’il n’aurait pas posé de problème, nous confie-t-il, mais si on commence avec un, les autres vont se demander pourquoi pas eux, etc. » Des règles s’imposent pour qu’un lieu qui brasse plus de 300 personnes fonctionne sans trop de tensions et débordements. Et pour que les résidents se sentent en sécurité, ce qui est souvent l’un des reproches adressés aux centres d’urgence dans lesquels certains sans-abri refusent de se rendre. La Croix-Rouge met à disposition des armoires avec cadenas dans les chambres, ainsi que des consignes fermées à l’accueil.
Onze nourrissons
Au quatrième, l’ambiance change. Un tricycle traîne sur la moquette. Le linge sèche le long des fines cloisons qui délimitent les chambres mais ne peuvent contenir les pleurs des nouveaux-nés. Le centre héberge 37 familles, soit 142 personnes, dont 72 enfants… Onze d’entre eux ont moins de six mois. Une des chambres rassemble d’ailleurs quatre lits bébés et plusieurs poussettes. Nora, jeune maman espagnole, a accouché en janvier d’un petit Adam. Partager sa chambre avec d’autres mamans ne lui pose pas de problème, au contraire : elles se comprennent. Quant à savoir où elle ira après, la jeune femme n’en a pas la moindre idée. Le centre fermera pourtant ses portes le 31 mars.
Francis, lui, profite de son séjour pour rebondir. Avec sa copine, Valeria, et Antonio, le fils de celle-ci, ainsi que deux autres familles, ils ont été expulsés d’une maison qu’un prêtre leur laissait occuper, trois jours avant Noël. Lundi après-midi, il a pris part à la réunion d’information pour « l’après ». « Je pense qu’avec ce que je touche au CPAS, je peux chercher un petit quelque chose à 300 euros par mois. Mais pour les autres familles, c’est très, très difficile. » Antonio, lui, semble comme monté sur ressorts et enchaîne les cabrioles. Sa journée d’école ne l’a pas fatigué !
A l’heure du repas, la file dans le réfectoire s’allonge. Francis et Nora se mêleront à tous ceux qui, d’où qu’ils viennent et où qu’ils aillent, profitent d’un peu de répit.
Des profils multiples
Des familles Roms, des demandeurs d’asile déboutés, sans-papiers. Des migrants en transit, qui n’avaient pas de place à la « Porte d’Ulysse », le centre géré par la plateforme citoyenne, à l’arrière du bâtiment de la Croix-Rouge. Des « habitants de la rue », comme ce couple qui vit dehors depuis trois ans et profite de ce temps de pause pour tenter de décrocher un logement supervisé. Mais aussi des personnes sans ressources, confrontées à un coup dur. Comme ce Belge qui revient de Londres et a débarqué à Haren il y a quatre jours. « C’est pas l’hôtel, mais ça va. C’est un dépannage, en urgence, quoi. C’était ça ou la rue. Le centre, ça me permet de me relancer. » « Ici, c’est un reflet de la société, conclut Freddy Simon. Enfin, d’une certaine société, en marge. Celle que d’habitude, on préfère cacher. »