Un « nouveau » Samusocial va être créé sur les bases de l’ancien. La collecte de données personnelles sur les sans-abri est au cœur des débats.
Après le scandale du Samusocial, le secteur du soutien face au sans-abrisme va connaître une refonte importante. Apporter de la clarté et de la stabilité, c’est en tout cas l’une des missions que se fixe la nouvelle ordonnance en la matière, qui vient d’être votée en commission au parlement bruxellois, sans néanmoins parvenir à générer de consensus comme l’avait pourtant fait le rapport tirant les conclusions de l’enquête parlementaire sur le Samusocial. L’opposition MR-Ecolo-Groen a en effet buté, au terme d’une séance particulièrement tendue, sur ce texte touffu et épineux dont la genèse remonte en réalité au début de la législature. Et de fait, la législation qui doit encore être votée en séance plénière n’a pas visiblement pas répondu aux récriminations de l’opposition et d’au moins une partie du secteur.
Mais de quoi parle-t-on ? Notons avant toute chose que l’ordonnance en question commence par consacrer l’existence de deux ASBL de droit public, aux objectifs supposément complémentaires. La première, développée sur les bases du Samusocial et baptisée à ce titre « New Samusocial », sera chargée d’assurer la mission d’hébergement d’urgence des personnes sans-abri, et ce de manière « inconditionnelle et gratuite ». La seconde structure, qui s’appellera Bruss’Help, va gérer la coordination des structures d’accueil, l’orientation des sans-abri vers les services existants adéquats, ainsi que « l’analyse des causes du sans-abrisme ». L’ASBL sera à ce titre chargée de collecter et centraliser les informations nécessaires sur le sujet.
En plus de définir les missions de ces deux opérateurs, le texte offrira une véritable reconnaissance à une cinquantaine de structures d’insertion déjà existantes. Ces dernières se verront dès lors accorder un agrément, garantie pour l’avenir de subsides structurels.
Alors, que reproche donc l’opposition à ce texte ? Eh bien, avant tout, de considérer différemment l’aide urgente (à savoir l’accueil destiné à sortir ponctuellement quelqu’un de la rue et à lui offrir des services de base) et l’insertion, qui poursuit des objectifs de « sortie de rue » à plus long terme. Pour le député Alain Maron (Ecolo), aux avant-postes sur ce dossier, cette différenciation risque de trop profiter au sous-secteur de l’aide d’urgence, c’est-à-dire au New Samusocial. « Le texte oblige le gouvernement à attribuer les moyens budgétaires qui seront estimés nécessaires par le New Samusocial, pour des places d’urgence. » estime-t-il. « Concernant tous les autres dispositifs, ceux qui veillent à l’insertion et à la sortie de rue, l’éternel “sous réserve des moyens disponibles ”est bien de mise, par contre. »
Directeur de cabinet adjoint de la ministre francophone des Affaires sociales Céline Fremault (CDH), Laurent Hacken réplique que le gouvernement n’a eu de cesse au cours de ces dernières années de renforcer le soutien à l’ensemble du secteur : « Comme le dit d’ailleurs le secteur, c’est la 1ère fois que l’on revalorise les centres d’accueil depuis 2004. ». Et ce dernier de préciser que sur l’enveloppe actuelle de 45 millions d’euros destinée à l’aide aux sans-abri, environ 2/3 vont aux organismes d’insertion.
« On est super clean »
L’autre grosse pierre d’achoppement, c’est la question de ce qu’on appelle le « dossier social partagé ». Ce point de l’ordonnance, qui institutionnalise la collecte et le partage d’informations personnelles sur les usagers des structures de soutien dans le but d’améliorer leur efficacité, crispe en réalité le secteur (lire par ailleurs). « Et tout cela, alors que personne dans le milieu n’est pour l’instant demandeur » peste Alain Maron.
Au cabinet de la ministre, on dénonce certaines critiques « conservatrices » et on répète que des dispositions strictes vont être prises pour assurer le bon respect du cadre sur la protection de la vie privée. « Ce n’est pas une ASBL ou une administration qui va gérer ça, mais un intégrateur, qui est un outil externe qui va centraliser tout cela et qui va verrouiller les accès, » précise Laurent Hacken. « On est super clean, » Même si l’ultime vote en plénière est a priori déjà plié, les débats futurs sur le sujet s’annoncent tout aussi tendus, le travail parlementaire réalisé en amont sur ce dossier n’étant pas parvenu à évacuer les frustrations des uns et des autres.
Le terrain entre satisfaction, déception et craintes
Dans le secteur, on est visiblement partagé entre la satisfaction, la déception et les craintes par rapport à l’avenir. Pour Christine Vanhessen, directrice de la Fédération des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abri (AMA), il faut cependant commencer par reconnaître que l’ordonnance a au moins le mérite de définir plus précisément les contours des structures majeures, ainsi que de reconnaître et de garantir la pérennité d’organisations actives sur le terrain depuis longtemps.
Malgré ce 1er constat positif, la liste des reproches adressés à la nouvelle législation n’en est pas moins étoffée. Christine Vanhessen regrette notamment un manque de concertation avec les acteurs de première ligne et un manque de compréhension de leur vision. « Jusqu’en 2015, il n’y a pas eu de moment de concertation avec les membres du secteur dit-elle. On a seulement pu discuter avec nos ministres à partir de 2017 ». De ce fait, la séparation entre l’aide d’urgence et l’insertion, dénoncée par ailleurs par le député Alain Maron, ne colle pas non plus selon elle à la réalité du terrain, où les cas sont parfois bien plus complexes que la théorie. Exemple utilisé : une femme ayant quitté son domicile à cause de violences conjugales ne va sans doute pas se tourner dans un 1er temps vers l’aide urgente, mais directement vers une structure de soutien adaptée à sa situation. Vouloir diriger quelqu’un d’abord vers une structure d’urgence puis vers une structure d’insertion, comme l’imagine la loi, ne serait donc pas toujours la solution la plus adéquate.
Préserver la confiance, une priorité
Comme sur la scène politique, la question de la collecte de données personnelles sur les personnes sans-abri fait aussi craindre des abus pour la suite. À supposer que ces craintes ne se confirment pas – tout le monde semble en effet reconnaître que le texte d’ordonnance est assez bien cadenassé sur le plan juridique, bien que les arrêtés d’exécution à venir seront décisifs pour rassurer ou non le secteur –, l’impact sur les relations entre usagers et travailleurs sociaux pourrait malgré tout en pâtir. « Ce partage d’information, ça peut être un frein par rapport au lien de confiance entre les travailleurs et les usagers, estime Christine Vanhessen. Il ne faudrait pas que ce dossier social partagé fasse peur aux usagers au point qu’ils ne veuillent plus se rendre chez nous. »
Laurent d’Ursel, président de l’ASBL DoucheFlux, a également suivi le dossier de près et partage les craintes de sa coreligionnaire sur ce plan. « Le dossier social partagé est un système merveilleux si tous les travailleurs sociaux l’appliquent à la lettre », admet-il, sous-entendant que cela risque de ne pas être le cas. Il nous renvoie par ailleurs à des propos tenus un peu plus tôt au micro de la RTBF : « Un précaire, c’est quelqu’un qui est structurellement paranoïaque. Et le parano ne va jamais croire que tous les travailleurs sociaux de Bruxelles sont excellents. »