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Tuée parce que femme: faut-il parler de « féminicide »?

Elle s’appelait Céline. Elle avait 33 ans, elle était Montoise. Elle a été poignardée mortellement ce lundi 23 avril par son voisin. A qui elle aurait refusé des avances.

Elle s’appelait Dominique. Elle avait 40 ans. Et le 18 avril dernier, elle a été tuée par son mari qu’elle voulait quitter. Avant ça, il a tué leurs enfants.

Elle s’appelait Sabrina, 28 ans. Et le 15 avril, elle a été abattue par son ex-compagnon à Mouscron.

Ces deux dernières semaines, au moins trois femmes sont mortes sous les coups ou sous les tirs d’un homme. Sous les coups de son compagnon, son ex ou son voisin.

Mais comment en parle-t-on dans les médias ? Comment doit-on en parler ? Un mot entre petit à petit dans le vocabulaire médiatique. Y compris, à la RTBF : le mot féminicide.

Féminicide, ou quand une femme est tuée parce que c’est une femme

Le féminicide signifie le meurtre de femmes parce que ce sont des femmes. Le caractère genré du motif doit être présent. Par exemple, si une femme est tuée lors d’un braquage, ou lors d’un attentat, on ne parlera pas de féminicide. Mais quand derrière un meurtre, il y a cette relation de pouvoir entre homme et femme qui s’exprime, une relation de domination. Là, c’en est un.

L’Organisation Mondiale de la Santé préfère le mot « fémicide » et en distingue d’ailleurs plusieurs formes, comme le fémicide intime ou les crimes commis au nom de l’honneur.

Le mot n’est pas nouveau. En fait, c’est en Amérique latine que le concept s’est développé dans les années 90, suite aux disparitions de centaines de femmes dans la ville mexicaine de Ciudad Juarez. Pour dénoncer ces féminicides et les autres ailleurs dans le monde, des centaines de chaussures rouges sont disposées dans des lieux publics, comme jeudi dernier sur la place communale de Koekelberg.

Depuis 2015, le mot féminicide est entré dans le dictionnaire du Petit Robert. Dans les médias, le terme est parfois utilisé. De plus en plus.

Parler de féminicide, c’est transformer un fait divers en fait social

Le mot féminicide est particulièrement poussé et porté par les associations féministes.

Pour elles, utiliser ce mot, c’est changer la perception que l’on a de ces violences envers les femmes. Céline Caudron de l’association Vie Féminine explique : « L’idée, c’est de lever le tabou et de parler de ces violences-là. Quand on prend les faits divers ‘plic ploc’, on a l’impression que ce sont des accidents. Par contre, si on utilise le même terme, on lève les tabous, on parle du fait social. Et en parler comme d’un fait social, cela pose la question de la responsabilité collective. Et pas seulement individuelle ».

Les associations décomptent d’ailleurs le nombre de « féminicides » depuis plusieurs années.

 Normalement, la Belgique devrait recenser le nombre de féminicides, puisqu’elle a signé la Convention d’Istanbul, qui est contraignante et qui prévoit cette mesure, commente Céline Caudron de Vie féminine. Alors, on continue de demander à l’Etat de le faire, mais on ne va pas attendre 3000 ans non plus ! ». La page Facebook et le blog « Stop Féminicide Belgique » épluchent la presse et ont compté 36 féminicides en 2018. 39 en 2017. 9 déjà en 2019.

« Drame familial », « crime passionnel », dans la case « faits divers »

La presse, parlons-en. Deux chercheuses de l’Université Catholique de Louvain ont étudié le traitement de la presse écrite de ces meurtres de femmes, par leurs conjoints, leurs ex, leurs voisins. A la demande de l’AJP, l’Association des Journalistes Professionnels.

Selon cette étude : « Les violences faites aux femmes sont traitées majoritairement sous la rubrique ‘faits divers’. Souvent sous forme de brèves. Les victimes sont très peu décrites. Les auteurs de violences ne sont pas beaucoup plus détaillés. De manière générale, les raisons invoquées par les auteurs pour justifier leurs violences sont reprises telles quelles dans les articles étudiés, sans que le journaliste rappelle qu’il ne s’agit pas d’un motif valable pour agresser ou tuer une femme ».

Et puis, il y a donc tout ce champ lexical qui colle à ces violences, « drames familiaux », « crimes passionnels », détails sur les motifs de l’auteur des violences.

Suite à cette étude, l’AJP, l’Association des Journalistes Professionnels a rédigé une série de recommandations aux journalistes : « Il est essentiel de nommer les violences faites aux femmes pour ce qu’elles sont : des violences sexistes ou encore des violences de genre. Les violences contre les femmes ne sont pas une ‘affaire privée’. Les auteurs de violences n’ont pas à être ‘excusés’ par leurs ‘sentiments’ ».

Dans la Convention d’Istanbul dont on a parlé plus haut, parmi les obligations des Etats, il est question dans le chapitre Prévention, de coopérer avec les médias pour toucher le public.


►►► Retrouvez plus de coulisses sur notre traitement de l’info sur la page INSIDE


Et à la RTBF ? Veiller à ne pas banaliser

En décembre 2017 déjà, sous l’impulsion de Safia Kessas, responsable de la Diversité à la RTBF, la rédaction de la RTBF s’engageait à ne pas banaliser ces violences envers les femmes et d’utiliser le mot féminicide quand il est pertinent de le faire. Jean-Pierre Jacqmin, directeur de l’Info-Sports justifie : « Ce ne sont pas des ‘drames conjugaux’, des ‘incidents de couple’. C’est parfois présenté comme ça. Et reconnaissons que nous avions parfois une attitude banalisante d’un phénomène qui est un fait de société. Ce terme féminicide est entré tout doucement dans la rédaction. Ça ne veut pas dire que nous en parlons à chaque fois et que cela fait l’ouverture de nos journaux à chaque fois, mais on veille – c’est le message qui a été envoyé aux équipes – à ne pas banaliser ces violences ».

Et c’est vrai qu’appréhender ces violences comme fait social, cela peut aussi déterminer le traitement médiatique que l’on en fera et la visibilité que cela aura dans nos journaux. Lorsque l’on présente les journaux, on se demande souvent en radio par exemple s’il faut « bréver » un fait divers, en faire une information courte ou un sujet. Ce qui nous permet de trancher, c’est cette question de fait social, derrière le fait divers : est-ce que cela dit quelque chose de notre société ? Exemple : on donnera plus d’importance dans nos journaux à un crime qui a été commis sur une personne parce qu’elle est noire, parce qu’elle est juive, parce qu’elle est homosexuelle qu’à un meurtre commis lors d’un règlement de compte.

En août dernier, le journal télévisé évoquait d’ailleurs la question, après le double féminicide de Plombières.

Une information qui arrive par bribes

Il y a cette prise de conscience d’un côté. Et la réalité de terrain de l’autre. La rédaction de Mons a été confrontée deux fois ces derniers jours à des meurtres de femmes. Le terme féminicide n’a pas été utilisé.

Vinciane Votron est la chef de la rédaction montoise, elle détaille, concernant le meurtre commis à Mouscron : « On ne connaissait pas toutes les circonstances. Les faits viennent de se passer, l’enquête n’est pas aboutie. Et l’information que l’on reçoit du parquet est très fragmentaire. On garde du coup une certaine prudence. On ne peut pas extrapoler. Le mot meurtre est plus neutre. C’est lourd de sens d’utiliser le mot féminicide et quand on n’a pas tous les éléments, c’est compliqué ».

En ce qui concerne l’agence de presse Belga, la dépêche du 16 avril évoque un homicide à Mouscron. Trois jours plus tard, lorsque la chambre du conseil de Mons a confirmé le mandat d’arrêt à charge du suspect, Belga utilise le terme féminicide.

Féminicide, terme trop militant ?

Ce mot « féminicide », Charlotte Vanneste, Maître de recherches à l’Institut National de Criminalistique et de Criminologie et chargée de cours à l’Université de Liège, ne l’utilise jamais pour parler de la problématique des violences conjugales dans son ensemble. Elle considère que l’approche féministe a apporté beaucoup sur cette question et a permis de l’appréhender comme véritable problème social, symptomatique en partie de rapports de domination de genre. Mais qu’une lecture genrée peut également d’une part, écraser d’autres réalités comme celles résultant de classe sociale, de culture, etc. ou encore ne pas tenir compte du rôle des interactions dans le couple. Ces lunettes genre éludent aussi quelque part aussi une autre réalité : les hommes victimes eux aussi de violences conjugales par exemple, ou encore les violences dans les couples homosexuels.

D’autre part, cette lecture peut aussi mener à des « dérives » quand elle mène à revendiquer prioritairement une criminalisation des faits de violences conjugales [Ce qui est porté par une partie seulement du mouvement féministe]. Selon Charlotte Vanneste, les recherches montrent que la criminalisation n’est dans bon nombre de cas pas la réponse la plus appropriée ni la plus efficace et que par ailleurs « les stratégies punitives mobilisées vont dès lors écarter d’autres styles d’approches relevant davantage de l’action sociale ».

Au milieu de l’approche militante et scientifique, Jean-Louis Simoens, responsable de la ligne d’écoute violences conjugales, tranche le débat : « 97% des victimes qui appellent la ligne d’écoute sont des femmes. Le constat des inégalités, c’est une réalité évidente. Toutes les analyses de genre rentrent dans tous les domaines, économique, social, etc. On sait par exemple que dans le domaine de l’emploi, ce sont les femmes qui disposent du statut le plus précaire. Dans les violences entre partenaires, on ne peut pas non plus gommer cette réalité-là ».

Alors est-ce de notre responsabilité de l’introduire dans ce langage quotidien et de le mettre en lumière ? La RTBF le pense.


►►► A lire aussi: Factrice, cafetière, écrivaine: parler des femmes au féminin, certes… mais comment? 

Source: RTBF.be – Publié le vendredi 26 avril 2019

https://www.rtbf.be/info/inside/detail_tuee-parce-que-femme-devons-nous-parler-de-feminicide?id=10205807&utm_source=rtbfinfo&utm_campaign=social_share&utm_medium=fb_share

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Créée en mai 1968, la Fédération des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abri (AMA) fédère des institutions assurant l’accueil, l’hébergement et l’accompagnement d’adultes et de familles en difficultés psychosociales mais aussi des personnes morales ou physiques actives dans le domaine de l’aide et de l’accueil de personnes en grande précarité sociale.

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